Étape 6 : Vin et moutarde

Aujourd’hui, le peloton du Tour de France se fraye un chemin vers la victoire sur un tronçon de 163 kilomètres entre Mâcon et Dijon. Nous roulons à travers les vignobles de Bourgogne, ou plus exactement les vignobles qui se déchirent, dans le Bresse Graben, patrie du vin et de la moutarde. Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, nous le promet sur le site officiel :

« Les amateurs d’architecture médiévale apprécieront les images aériennes de l’abbaye de Cluny et bien d’autres choses encore. L’échappée s’élancera avec l’ambition de contenir la poursuite du peloton dans les vignobles de la Côte Chalonnaise. Mais ce sont les sprinters qui devraient avoir le dernier mot sur le 800 mètres en ligne droite dans la préfecture de la Côte-d’Or »

Les vignobles sont présentés dans le blog d’aujourd’hui, mais Christian semble manquer quelque chose de très intéressant sur le plan géologique. Les observateurs perspicaces constatent que le type de paysage de cette sixième étape du Tour est de type « plat ». C’est grâce au Bresse Graben. Et le vin et la moutarde comme produits de célébration.

L’itinéraire de l’étape 6 de Mâcon à Dijon, et le type de paysage associé (plat). Figure modifiée d’après le site du Tour de France 2024 et Wikicommons.

Il s’agit d’un phénomène assez rare dans le sud-est de la France, qui témoigne d’une histoire particulière de la tectonique des plaques. Il y a plusieurs millions d’années, la masse continentale de la France métropolitaine a tenté de se détacher du continent européen. Cette tentative s’est avérée infructueuse, car la France fait toujours partie de l’Europe. Cet événement a néanmoins eu un impact important sur le paysage local, l’histoire de l’Europe et la culture (agricole) locale. Ce sont ces détails passionnants que nous allons explorer ci-dessous !

Qu’est-ce qu’un graben ?

Le rifting est un processus fondamental de la tectonique des plaques qui sépare les continents au cours de millions d’années. Ce processus implique l’étirement et l’amincissement progressifs de la lithosphère continentale(figure 2a). Le processus est entraîné par des forces gigantesques dans la terre jusqu’à ce qu’un bassin océanique s’ouvre entre les deux fragments continentaux. Les failles normales sont des caractéristiques typiques des systèmes de rift. Il s’agit de grandes fractures dans la terre qui permettent aux blocs continentaux de se déplacer vers le bas pour s’adapter à l’étirement général du continent(figure 2a).

Les dépressions qui en résultent entre ces failles sont appelées grabens, du mot allemand signifiant « fossé » ou « tranchée ». Ces grabens sont généralement remplis de sédiments jusqu’à un certain niveau pour former des zones plates distinctes entre les « épaules de graben » vallonnées qui ont été soulevées pendant le rifting et qui se détachent dans le paysage(figure 2b).

Graben et le Graben bressan
(a) Vue en coupe illustrant l’évolution typique d’un système de rift jusqu’à la rupture continentale et l’ouverture d’un bassin océanique. Notez que la lithosphère tectonique continentale se compose généralement d’une croûte supérieure et d’une croûte inférieure, ainsi que du manteau (lithosphérique) supérieur, qui se séparent lors de la dislocation continentale. (b) Représentation 3D d’un graben limité par des failles normales et des épaulements de graben soulevés. Figure modifiée d’après Zwaan et al. (2023) et le site web du Smithsonian Institute (USA).

Tissu cicatriciel

La carte topographique de l’Europe occidentale montre clairement que le rifting a laissé des traces sur le continent. Une série distincte de grabens orientés grossièrement nord-sud avec une topographie plane marque le contour du système de rift cénozoïque européen. Le Cénozoïque est la période qui s’étend de l’extinction des dinosaures, il y a 66 millions d’années, à aujourd’hui.

Il s’agit notamment des fossés du Rhin supérieur et inférieur, mais aussi du fossé de la Bresse. C’est là que nous courons aujourd’hui. La formation de rifts en Europe occidentale était quelque peu atypique car elle n’était pas due à un étirement à grande échelle du continent par la tectonique des plaques. Elle n’est pas non plus due à une remontée massive et active de matériaux chauds provenant des profondeurs du manteau terrestre, comme c’est le cas dans la plupart des autres systèmes de rifts. Les grabens européens se sont plutôt formés en réponse au déplacement de l’Italie et de l’Espagne (deux fragments continentaux indépendants dans le passé) vers le nord de l’Europe depuis environ 60 millions d’années, en route vers la création des Alpes et des Pyrénées.

Système de rifts du Cénozoïque européen. (a) Répartition des différents grabens tels qu’ils apparaissent dans la topographie actuelle. (b) Principaux éléments tectoniques de la région, avec les différents grabens indiqués en orange. Centres volcaniques liés au rifting (Massif central, Eiffel et Eger Graben) indiqués en noir. Annotation et abréviations dans (a-b) : Ligne barbelée en pointillés : Front de déformation alpine. BG : Bresse Graben. (c) Ouverture du système de rifts du Cénozoïque européen (rifts d’Europe occidentale) il y a environ 35 millions d’années. Il s’agit d’une réaction à la compression nord-sud des Pyrénées et des Alpes (finalement due à une convergence Afrique-Europe à grande échelle). La flèche jaune indique le mouvement vers l’ouest de la France. Figures modifiées d’après Séranne (1999), Kübler (2012) et Dézes et al. (2004).

C’est encore la tectonique

Dans un premier temps, l’impact de ce mouvement vers le nord a été atténué par la fermeture de plusieurs petits bassins de rift. Mais lorsque l’Italie et l’Espagne ont commencé à entrer sérieusement en collision avec le continent européen il y a environ 35 millions d’années, les sommets alpins et pyrénéens se sont élevés à de grandes hauteurs. Simultanément, cette collision à peu près nord-sud a entraîné une poussée latérale de la région située au nord des Alpes. La tension est-ouest qui en résulte a conduit à l’ouverture des différents grabens du système de rift(figure 3c ci-dessus). C’est ainsi que la France a commencé à se déplacer lentement vers l’ouest.

Cependant, dès que la phase de collision alpine majeure a dépassé son apogée, il y a environ 25 millions d’années, la force motrice à l’origine du rifting en Europe occidentale s’est également estompée. Ainsi, aucun nouvel océan ne s’est ouvert et la disposition tectonique générale de la région que nous connaissons aujourd’hui a été établie. L’Europe est restée unie. Cela ne signifie pas pour autant que la région est géologiquement inactive. Les différents grabens montrent encore des signes de déformation en cours. Ils subissent régulièrement des tremblements de terre, comme celui de 1356 qui a complètement détruit la ville suisse de Bâle, à l’extrémité sud du fossé du Rhin supérieur.

En outre, une bizarrerie de la configuration atypique du rift en Europe occidentale a probablement provoqué des perturbations en profondeur dans le manteau sous-jacent. En conséquence, la remontée locale de matériaux chauds depuis les grandes profondeurs de la terre a provoqué un volcanisme intense par « points chauds ». Le Massif central en France(étape 10 de 2024) et l’Eiffel en Allemagne(figure 3b ci-dessus) en sont les exemples les plus connus. Certaines des éruptions associées près de la ville française de Clermont-Ferrand ne se sont produites qu’il y a environ 8 000 ans. Comme vous, c’est un clin d’œil en termes de temps géologique. Notre planète est très dynamique.

Le graben façonne l’histoire de l’humanité

Les graben offrent souvent un paysage idéal pour l’habitation humaine. Les grandes rivières qui longent généralement le territoire fournissent de l’eau en abondance. Les sédiments déposés dans leurs plaines inondables constituent des terres agricoles fertiles. De plus, ces plaines et ces rivières facilitent le transport et les déplacements. Le Bresse Graben n’est pas différent. Ici, la Saône s’écoule des Vosges (l’épaulement occidental du graben du Rhin supérieur au nord) vers le sud, le long du graben de la Bresse, en passant par Dijon puis Mâcon, alors que nos héros vêtus de spandex courent dans la direction opposée.

Stade 6 tel que vu sur Veloviewer.

À Lyon, la Saône se jette dans le Rhône, qui prend sa source dans les Alpes suisses enneigées. Le Rhône continue ensuite plus au sud le long du Graben vers son delta près de Marseille. C’est une ville portuaire essentielle depuis sa fondation par des colons grecs vers 600 avant notre ère. Étant l’une des rares voies de passage de la Méditerranée vers le nord-ouest de l’Europe, le Fossé bressan a toujours représenté une route commerciale cruciale. Les ressources de la Gaule et de la Germanie (la France, le Benelux et l’Allemagne actuels) au nord étaient échangées contre des poteries et des produits de luxe provenant du monde gréco-romain sophistiqué au sud. À l’époque, cette activité était en plein essor. Comme l’écrit Cicéron, un marchand pouvait vendre une amphore de vin pour un esclave. Tel était l’amour du vin dans la Gaule antique.

Vin et moutarde

L’amour du vin semble avoir perduré jusqu’à aujourd’hui. Après la conquête de la Gaule par Jules César dans les années 50 avant notre ère, les habitants ont adopté avec enthousiasme l’art de la vinification. Ils sont rapidement devenus des maîtres de leur art, surpassant leurs maîtres et leurs conquérants d’outre-Alpes. Nombreux sont les Italiens d’aujourd’hui qui ne sont pas d’accord avec cette affirmation.

Carte des vins de France. Le zoom sur le graben de la Bresse montre comment nous trouvons les régions viticoles généralement au niveau des épaules du graben. Source : https://www.cartesdesvinsdefrance.fr

Aujourd’hui, le bassin de la Bresse abrite certaines des régions viticoles françaises les plus connues, telles que la Vallée du Rhône au sud, le Beaujolais et la Bourgogne au nord. Comme le souligne M. Prudhomme sur le site du Tour de France, nos coureurs passeront par la Côte Chalonnaise. Il s’agit d’un petit sous-domaine de la région viticole de Bourgogne. S’ils souhaitent s’arrêter dans un café pour prendre un rafraîchissement bien mérité, comme c’était le cas dans les éditions d’avant-guerre du Tour, ils pourront tester les excellents Pinot Noir ou Chardonnay de la région.

Il est intéressant de noter que ces régions viticoles ont tendance à se situer sur les épaulements du graben plutôt que sur les plaines du graben lui-même. Cela s’explique en partie par le fait que le jeune remplissage sédimentaire du graben ne fournit pas le sol idéal pour un vin de qualité. Deuxièmement, les coteaux des épaules du graben soulevé offrent de meilleures conditions d’ensoleillement pour la croissance des vignes et la maturation des raisins.

Moutarde et vin à la ligne

Au terme de cette course de 163 kilomètres, nous arrivons à Dijon, au cœur de la Bourgogne. Le nom de cette ville est l’homonyme de la célèbre moutarde qui figurait en bonne place dans les banquets exubérants que les riches ducs de Bourgogne organisaient à leur cour médiévale.

La moutarde elle-même semble avoir été utilisée comme aliment en Inde et en Mésopotamie dès 3000 ans avant notre ère. Ce sont peut-être les Romains qui ont introduit la moutarde en Gaule. Il s’est avéré que la moutarde poussait bien dans la région. Une fois de plus, les habitants se sont emparés de l’idée et ont développé une tradition culinaire que nous connaissons aujourd’hui dans le monde entier. Notez toutefois que le nom du produit « Moutarde de Dijon » n’est pas protégé en tant que tel. Elle indique simplement l’utilisation de la recette de moutarde mise au point à Dijon.

En effet, la grande majorité des graines de moutarde utilisées pour la production de moutarde dans la région proviennent du Canada, une réalité quelque peu honteuse. Mais tout n’est pas perdu ! Des efforts sont actuellement déployés pour relancer la culture de la graine de moutarde française. À Dijon, les cyclistes fatigués ont l’occasion de se revitaliser en testant les saveurs puissantes de la « Moutarde de Bourgogne », un produit protégé fabriqué uniquement à partir d’ingrédients régionaux. Cette moutarde se marie très bien avec un plat de charcuterie et un verre de Chardonnay local, en regardant les collines couvertes de vignes au coucher du soleil. Tout cela est rendu possible par l’histoire tectonique particulière du Bresse Graben ! Merci la géologie.

NB : Les blogs dans d’autres langues que l’anglais sont tous traduits automatiquement. Nos rédacteurs ne sont pas responsables des fautes de langue et d’orthographe.

  • Frank Zwaan

    Frank Zwaan is a researcher at GFZ Potsdam (Germany) who specializes in plate tectonics and natural resources. After building sandcastles as a child he went on to study Earth Sciences, in part because of the frequent and adventurous field trips and excursions abroad. During his studies in Amsterdam and Rennes he was delighted to learn that he could in fact use sand to simulate plate tectonic processes in the laboratory, which has since then become a major aspect of his research. Frank completed a PhD on rift tectonics at the University of Bern, followed by a project in Florence that included a field expedition to the East African Rift. After a return to the tectonic lab in Bern, he moved to Potsdam. Here he uses tectonic computer models to study how rocks deep in the earth can be brought close to the surface, where may react with water and produce hydrogen gas. Such “natural hydrogen” is a potential carbon-neutral alternative for current fossil fuels, and harnessing its full potential may revolutionize our energy use. Although these are exciting times to study natural hydrogen, we can still find Frank in the good old lab now and then, to “touch sand”, as it were.

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