Étape 20 : Catastrophe

En 2020, une catastrophe a frappé la région où nous courons aujourd’hui. Le départ de cette avant-dernière étape est donné à Nice. Les coureurs passent le col de Braus pour la 27e fois dans l’histoire du Tour de France. Ils escaladent également le col de Turini. Après cette montée, les coureurs arrivent dans la vallée de la Vésubie, dans le massif du Mercantour-Argentera. C’est l’un des onze parcs nationaux de France. Une catastrophe survenue en octobre 2020 dans cette vallée nous donne l’occasion de présenter les processus géomorphologiques qui façonnent les vallées alpines telles que la Vésubie. Nous nous penchons également sur l’avenir et sur les moyens d’empêcher que cela ne se reproduise.

Dans ce blog, nous utiliserons le terme de bassin versant (ou bassin d’alimentation). Le bassin versant est une délimitation géographique qui représente la zone drainée par une rivière et ses affluents.

Image pour Polarpedia.

Roches de la vallée de la Vésubie

Les caractéristiques physiques du bassin versant de la Vésubie sont typiques de celles des Alpes françaises. Il s’agit d’une vallée étroite et escarpée composée de trois formations rocheuses distinctes. Les parties supérieures du bassin versant (en amont de Roquebillère) sont principalement composées de roches cristallines. Ils sont très probablement liés à l’orogenèse hercynienne (il y a 420 à 300 millions d’années).

Les formations sédimentaires sont plus récentes. Vous y trouverez des calcaires, des marnes et des grès. Elles sont abondantes dans les parties basses du bassin versant (Roquebillère et aval). La présence de micro-organismes marins fossilisés indique que ces roches datent du Jurassique (200 à 145 millions d’années). Il témoigne d’une mer préhistorique. Leurs alternances, appelées “black flysch”, seront particulièrement visibles sur les bords de route du Col de Turini.

La troisième formation rocheuse correspond aux dépôts superficiels du quaternaire (il y a 2,58 millions d’années jusqu’à aujourd’hui). Il s’agit de roches héritées des activités glaciaires qui se sont produites pendant les dernières périodes froides de l’époque du Pléistocène. En effet, la vallée de la Vésubie a été glaciée.

Glaciers des Alpes-Maritime au cours du Riss (300 000 à 130 000 ans) et du Würm (115 000 à 11 700 ans). (1) Ligne de crête. (2) Zone d’alimentation du glacier. (3) Longueur maximale du glacier pendant le Würm. (4) Longueur maximale probable du glacier pendant le Riss. (5) Gorge proglaciaire. (6) Col (ou passe). (7) Étape 20. Adapté de Julian M., 1997.

Temps froids

Cela peut paraître surprenant, mais des glaciers étaient présents dans les vallées du sud de la France. Nous le savons parce que la dynamique des glaciers laisse des empreintes caractéristiques dans le paysage, telles que des blocs erratiques. Nous l’avons vu lors de la 14e étape de la TdF 2023. Ces grands blocs rocheux qui se trouvent dans la partie supérieure de la vallée de la Gordolasque témoignent des anciennes activités glaciaires. Leur emplacement actuel ne peut s’expliquer autrement que par leur dépôt lors d’un retrait glaciaire. D’autres indices témoignant des activités glaciaires passées sont présents dans le paysage sous la forme de sédiments laissés par les glaciers. A Roquebillère, qui vient après la descente du col de Turini, près du confluent de la Gordolasque (affluent rive gauche de la Vésubie) et de la Vésubie, on observe des dépôts morainiques à certains endroits.

Les moraines sont des formations glaciaires typiques constituées de débris rocheux qui ont été transportés par un glacier. Dans notre cas, les moraines de Roquebillère datent vraisemblablement de la dernière période froide appelée Würm. Au cours de la dernière phase de retrait des glaciers pendant le Würm, les moraines se sont déposées et stabilisées. Dans le même temps, les eaux de fonte et les torrents ont également contribué à remplir le fond de la vallée de roches.

Comme de nombreuses vallées des Alpes françaises du Nord, les multiples phases d’expansion et de retrait des glaciers au cours du Pléistocène ont structuré la forme de la vallée de la Vésubie. Les dépôts glaciaires qui ont recouvert le fond de la vallée ont été partiellement et progressivement enlevés par l’érosion fluviale au fur et à mesure que la végétation et l’homme ont conquis ces nouveaux espaces. L’érosion au cours de milliers d’années explique pourquoi ces formations glaciaires sont aujourd’hui très éparses dans la vallée. Pourtant, cet héritage glaciaire s’est avéré décisif lors de l’inondation de 2020.

Une catastrophe nommée Alex

Le 2 octobre 2020, un épisode climatique méditerranéen massif généré par une tempête venant de l’Atlantique Nord, appelée Tempête Alex, s’est produit sur les vallées de la Tinée, de la Roya et de la Vésubie. L’intensité rare de cet événement a entraîné des pertes dramatiques, causant la mort de 10 personnes et laissant 8 disparus. Il a transformé le paysage du fond de la vallée, détruisant maisons et infrastructures.

Selon Météo France, cet épisode a atteint des niveaux de précipitations allant respectivement jusqu’à 600 et 500 mm en 24 heures sur les bassins versants de la Roya et de la Vésubie. Cela représente presque les précipitations annuelles dans ces vallées (voir figure 2). Statistiquement, une telle quantité de précipitations ne se produit qu’une fois tous les 1 000 ans !

Carte des précipitations pour 24 heures produite à partir de la fusion des données radar et pluviométriques pour l’intervalle de temps compris entre le 2 octobre et le 3 octobre 2020. La ligne rouge marque les limites des bassins versants de la Vésubie et de la Roya, le premier à gauche et le second à droite. Le réseau de cours d’eau est représenté par des lignes noires fines ; les tronçons d’affluents sont représentés par des lignes noires épaisses. D’après Liébault et al, 2024.

Catastrophe sédimentaire

De plus, la réponse géomorphologique extraordinaire des torrents affluents a encore aggravé la situation. Les précipitations ont massivement remobilisé les dépôts superficiels des affluents, et en particulier ceux hérités des périodes froides. Les affluents ont été le théâtre de nombreux glissements de terrain et de processus torrentiels intenses, tels que l’érosion des berges, le charriage et même les laves torrentielles.

Elle a entraîné une quantité importante de sédiments, estimée approximativement à 1,5 Mm³, transportée en aval vers la rivière Vésubie. À titre de comparaison, pensez à 400 piscines olympiques remplies de sédiments ! Tous ces sédiments, associés à la force hydraulique, ont contribué à la puissance destructrice de la Vésubie lors de la tempête, emportant de nombreuses terrasses alluviales dans le fond de la vallée. À certains endroits, il y avait des maisons et d’autres bâtiments.

Pour se faire une idée de la puissance destructrice de la rivière, il convient de noter que le chenal actif moyen (l’espace dans lequel la rivière peut s’écouler librement) est passé de 19 mètres à 79 mètres après la tempête. Localement, les dépôts d’alluvions atteignent jusqu’à 10 mètres ! Cela a conduit à une évolution morphologique sans précédent de la rivière. La Vésubie est passée d’un chenal à fil unique à un modèle tressé, montrant de multiples chenaux d’eau s’entrelaçant dans un corridor graveleux.

la catastrophe après alex
Avant (à gauche) et après (à droite) la tempête Alex, au confluent du Boréon et de la Vésubie (respectivement rive droite et rive gauche, l’écoulement se faisant du nord au sud), en amont du centre-ville de Saint-Martin-de-Vésubie.

Gestion des risques

Vous pouvez facilement imaginer que cet événement a été marquant pour les habitants de la vallée mais aussi pour tous les habitants de ce type de vallées. Elle nous rappelle notre vulnérabilité face aux risques naturels, que l’on a tendance à oublier de nos jours. Comme vous pouvez le voir sur les photos de l’image en dessous, dans la vallée adjacente de la Roya, de nombreuses constructions récentes sont situées dans la zone inondable, qui est par définition sujette aux inondations.

À gauche : vue du village de Tende à partir d’une carte postale de 1922 et la vue de dessus correspondante après la tempête Alex en 2020 où l’on peut voir l’urbanisation de la zone inondable. D’après Fouache et al, 2023.

En ce qui concerne la sécurité des habitants de la vallée de la Vésubie, la gestion des risques d’inondation est redevenue une préoccupation majeure des autorités. En effet, les sédiments qui sont aujourd’hui stockés dans la rivière inquiètent car ils pourraient être remobilisés par un événement. Parce que les coûts de ces réparations sont énormes, et en raison du contexte d’urgence, cette situation interpelle les politiques publiques locales en matière de stratégie de gestion des risques.

L’avenir

La stratégie recommandée par les experts consistait à maintenir cet espace de liberté nouvellement créé pour le fleuve. Il laisse à la rivière la possibilité de se déplacer au gré des crues. Néanmoins, cette stratégie est assez contraignante pour les autorités locales. Il s’agit de déplacer les pieux, de renforcer les berges lorsqu’elles ne peuvent être déplacées et d’éviter absolument de construire des infrastructures dans le lit de la rivière. Malheureusement, le 19 octobre 2023, une autre tempête, nommée Aline, a frappé le bassin versant. Pas aussi important qu’Alex, mais assez important pour causer de nouveaux dommages. La grande quantité de sédiments déposés pendant la tempête Alex a été remobilisée, ce qui a entraîné la destruction de certains enrochements et infrastructures nouvellement construits après la tempête Alex.

catastrophe après aline
Érosion des berges de la route après la deuxième inondation d’octobre 2023. D’après © L. Carré, journaliste.

Pour les habitants de la vallée, qui ont dû faire face à deux inondations majeures en quatre ans, cela soulève la crainte que ce type d’événement se produise de plus en plus souvent en raison du changement climatique. Les Alpes sont très affectées par le changement climatique. Le GIEC estime qu’elle se réchauffe deux fois plus vite que dans les autres régions. Cependant, comme les variations climatiques sont assez locales et que les caractéristiques destructrices d’une inondation dépendent de multiples facteurs (tels que la disponibilité des sédiments), il n’est pas facile d’estimer si ce type d’événement sera plus fréquent à l’avenir.

NB : Les blogs dans d’autres langues que l’anglais sont tous traduits automatiquement. Nos rédacteurs ne sont pas responsables des fautes de langue et d’orthographe.

  • Théo Welfringer

    I am a PhD student at INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Envrionnement), working on the problematic of debris flows triggering. In a nutshell, a debris flow is a specific type of torrential process characterized by a moving mass composed of water and at least 50 % of various solid components (rocks, soil, mud, …). Unlike a landslide, a debris flow is capable of travelling very long distances at very high speed. With such characteristics, it is obvious that such a process can be very destructive, and so understanding how they are triggered is a key factor in debris flow risk management and public safety. More specifically, my PhD focuses on the meteorological (how long does a rain event have to last to trigger a debris flow ? at what intensity ?) and geomorphological (what parameters make a terrain more likely to trigger a debris flow ?) thresholds for debris flow triggering in the Southern Alps, with the long-term aim of contributing to an Early Warning System (EWS).

  • Loïs Ribet

    I am doing my PhD on fluvial geomorphology, focusing on French Alpine gravel-bed braided rivers. These rivers present a characteristic fluvial pattern with multiple channels of water intertwining in a gravelly corridor. These fluvial landscapes can be seen as the product of complex interactions between liquid discharge, solid discharge (alluvium transported by the flow) and the local morphology. However, those interactions are highly disrupted by human pressures (such as gravel mining or containment) which are profoundly changing these landscapes. Thus, the management of braided rivers faces stakes such as hazard management or ecologic. In one hand, the alluvium storage means that it can threaten human life in case of major floods. In the other hand, the presence of water, rock and soil in these rivers offers a fantastic diversity of aquatic habitats. Therefore, comprehension of the morphological trajectory of braided rivers is of uppermost interest in Alpine regions. In order to provide such knowledge, I study the spatial structuration of alluvial forms (bedforms) that make up these rivers using 3D models built from high-resolution UAV imagery.

  • Adèle Johannot

    My PhD focuses on the effect of both hydraulic forces and bedload on the morphology of alpine rivers. In the context of risk management or river restoration, the aim is to give sizing keys for river manager. A better undertanding of the process involved in sediment transport and its consequences on the morphology are studied through an experimental flume in INRAE lab and a field survey on a reach of the Severaisse, a typical alpine gravel-bed river in the Ecrin range. The flume is a small-scale model of the Severaisse river, where we analyse the evolution of the bed according to different hydrograph associated with sediment pulses using photogrammetry. In the field, we use geophones as a proxy of bedload and we installed timelapse camera to survey the morphological changes on an active braiding reach.

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