Étape 2 : Ajouter du sel

Aujourd’hui, nous ajoutons du sel au Tour de France. Imaginez que vous parcourez à vélo les paysages pittoresques de la vallée du Pô, en Italie. Imaginez que vous participez à la deuxième étape du Tour de France 2024. Vous pédalez de Cesenato vers Ravenne. Sur votre gauche, vous verrez les plaines et les vignobles de la vallée du Pô. Sur votre droite, vous apercevrez au loin la mer Méditerranée qui scintille sous les rayons du soleil.

Fermez les yeux pendant une seconde. Veillez à ne pas perdre l’équilibre sur le vélo et à ne pas gâcher votre course dès le début. Ouvrez maintenant les yeux et regardez autour de vous. Sur votre gauche se trouve un paysage aride avec très peu ou pas de végétation. On y trouve des étangs stagnants et des marais salants de type camarguais. À votre droite se trouve la grande surprise. Les eaux méditerranéennes ont disparu au profit d’un paysage désertique rempli de sel.

Voyage dans le temps

Croyez-le ou non, vous ne rêvez peut-être pas, mais vous avez peut-être simplement pédalé un peu trop fort. Si difficile que vous avez ouvert un portail temporel et êtes retourné ~6 millions d’années en arrière. Si vous réalisez que la Terre a ~4600 millions d’années, six millions d’années ne représentent qu’un mois. Nous sommes aujourd’hui à une époque où l’on pense que la mer Méditerranée s’est asséchée pendant quelques centaines de milliers d’années. C’est l’époque où notre mer bien-aimée a été frappée par une crise écologique saline qui est aujourd’hui connue sous le nom de « crise de salinité messinienne ». Le Messinien est une ère géologique qui remonte à environ 7,2 millions d’années. Elle tire son nom de l’ancienne ville de Messine, au nord-est de la Sicile, dont est originaire Vincenzo Nibali.

Le tableau des temps géologiques. Le Messinien se trouve en haut à gauche, dans le Cénozoïque.

Attachez votre ceinture et ajoutons du sel à ce voyage ensemble. Nous plongerons dans les profondeurs du passé, naviguerons à travers les méandres de l’histoire de la Terre et découvrirons les secrets de la « crise de salinité messinienne ».

Faits anecdotiques

Voici deux faits dont vous devez vous souvenir avant de poursuivre. Vous pouvez également les utiliser pour épater vos amis lors du prochain quiz.

  1. La mer Méditerranée est reliée à l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar. Sans cette connexion, le niveau d’eau de la Méditerranée baisserait considérablement en raison d’un taux d’évaporation plus élevé (dû à la température) que l’apport d’eau douce. L’eau salée de l’Atlantique compense cette perte en se déversant dans la Méditerranée par le détroit.
  2. Lorsque le soleil chauffe l’eau salée, celle-ci s’évapore et laisse des sels dissous. Ces sels se cristallisent au fil du temps, formant des minéraux évaporitiques qui s’accumulent sous forme de couches rocheuses solides au fond de la mer. Il s’agit par exemple de l’halite (sel de table) et du gypse. Ils forment chacun des types distincts de roches évaporitiques en fonction des conditions environnementales.
Ajoutez un peu de sel
Schéma simplifié de l’évaporation et de la formation des roches salines, également appelées évaporites, pendant la crise de salinité du Messinien. Pour atteindre les conditions salines de la Méditerranée, une réduction ou une isolation de l’Atlantique est nécessaire. Source.

Commençons l’histoire

Notre histoire commence il y a environ 5,97 millions d’années. À cette époque, la mer Méditerranée n’était pas un endroit très différent de ce que nous connaissons aujourd’hui. C’était une vaste étendue d’eau interconnectée, grouillante de vie, entourée de paysages luxuriants et d’écosystèmes divers. Cependant, sous cette surface tranquille se cache une bombe géologique à retardement prête à exploser. Les forces tectoniques qui façonnent la croûte terrestre sont sur le point de déclencher une réaction en chaîne qui modifiera le cours de l’histoire de la région méditerranéenne. Le détroit de Gibraltar, qui relie la Méditerranée à l’océan Atlantique, est au cœur de notre récit. Par ce passage étroit, les eaux circulaient librement, maintenant un équilibre délicat entre la salinité et la vie dans la Méditerranée.

Cependant, la croûte terrestre agitée avait d’autres projets. Les mouvements tectoniques ont progressivement fermé la porte de Gibraltar, isolant la Méditerranée des vastes eaux de l’Atlantique. L’afflux d’eau étant limité, les conditions étaient réunies pour qu’un événement sans précédent se produise : la crise de salinité de la mer Messine.

Baisse potentielle du niveau de la mer Méditerranée si elle est déconnectée de l’océan Atlantique. Photo tirée de cette vidéo YouTube inspirée d’une publication dans la revue Nature Scientific Reports. Dans le coin supérieur gauche de la figurine figure un dessin animé de la série française emblématique Astérix et Obélix. Dans cet épisode, ils se trouvent dans la mer Morte, en Palestine, et Obélix apprend que l’eau de la mer Morte est six fois plus salée et plus dense que l’eau de mer normale et que le corps humain ne peut jamais y couler. Telles étaient les conditions dans la Méditerranée à l’apogée de la crise de salinité messinienne.

Il devient salé

La Méditerranée ayant été coupée de sa ligne de vie océanique, l’évaporation a pris le devant de la scène. Sous le soleil brûlant, les niveaux d’eau ont commencé à chuter. Ils ont laissé derrière eux de vastes étendues de salines, les évaporites, là où il y avait autrefois des mers. Les eaux autrefois bleues se sont transformées en un paysage aride de sel, s’étendant à perte de vue. Des millions d’années se sont écoulées depuis, et nous pouvons aujourd’hui observer les vestiges de cette ancienne crise. Les dépôts de sel formés pendant la crise de salinité messinienne se présentent aujourd’hui sous la forme d’impressionnantes montagnes de sel et de terrains rocailleux dans tout le bassin méditerranéen, soit enfouis sous des sédiments plus jeunes situés sous le plancher océanique, soit sur la terre ferme dans des endroits que vous pouvez visiter à tout moment (Espagne, Italie, Chypre, entre autres).

Une image réelle de la mine de sel de Realmonte, dans le sud de la Sicile (Italie), montrant les étonnantes couches de halite (sel de table) qui se sont formées pendant la crise de salinité du Messinien.

Nous trouvons l’un de ces lieux salés sur le parcours de la deuxième étape du Tour de France. En effet, entre Brisighella et Riolo Terme se trouve le parc régional de la « Vena del Gesso« , qui se traduit littéralement par « veine de gypse ». N’oubliez pas que le gypse fait partie des roches salées appelées évaporites. Dans ce parc, le paysage est dominé par d’épaisses couches de gypse qui, à l’époque de la crise de salinité messinienne, reposaient sur le sol méditerranéen en voie d’évaporation. Promenez-vous dans le parc de la Vena del Gesso par une journée ensoleillée. Sur le sol, vous remarquerez des cristaux lumineux un peu partout. C’est le gypse. Ses cristaux sont appelés sélénites. Ce terme vient du grec et signifie « pierre de lune » ou « pierre lunaire », en raison de sa ressemblance avec l’éclat de la lune.

Un terrain vague

Retournez dans le passé. La crise de salinité messinienne a atteint son apogée il y a environ 5,55 millions d’années. Imaginez le spectacle à ce moment-là ! C’était une terre désolée où aucun organisme ne pouvait survivre. Il est pratiquement impossible de trouver un contraste plus frappant avec le paysage marin animé qui dominait autrefois la région. La vie en Méditerranée, telle qu’on la connaissait, a basculé dans le chaos. Les écosystèmes ont été perturbés et les espèces ont lutté pour s’adapter aux conditions changeantes. De rares organismes se sont réfugiés dans des poches d’eau isolées, s’accrochant à la survie contre vents et marées.

Pendant ce temps, sur les rives de la Méditerranée, l’absence d’eau a eu des conséquences considérables. Les rivières se sont réduites à peau de chagrin, laissant derrière elles des lits asséchés et des paysages desséchés. Les communautés autrefois prospères qui dépendaient de la mer pour leur subsistance ont été confrontées à des défis sans précédent qui les ont forcées à périr.

Reconstruction paléogéographique artistique du bassin méditerranéen, tel qu’il se présentait il y a environ 5,5 millions d’années, lorsque la crise de salinité du Messinien a atteint son point culminant. Il est important de savoir que certains scientifiques considèrent cette reconstruction comme extrême et affirment que la baisse du niveau de la mer Méditerranée n’a pas dépassé 200 mètres. Source.

La tectonique sauve la mise

Pendant 640 000 ans, la Méditerranée est restée enfermée dans un état de crise. Ses eaux s’évaporent lentement sous le soleil implacable. Mais tout aussi soudainement qu’elle a commencé, la crise a atteint son point culminant il y a 5,33 millions d’années. Les mouvements tectoniques ont à nouveau remodelé le paysage. Les portes de Gibraltar s’ouvrent et la Méditerranée et l’Atlantique sont à nouveau reliés. Ce point marque le début d’une nouvelle ère géologique appelée le Zancléen. L’ère zancléenne a débuté par ce que les scientifiques appellent la catastrophique Refusion zancléenne. Avec le rétablissement de la liaison Atlantique-Méditerranée, l’eau de l’océan s’est remise à couler dans la Méditerranée, comme on ouvre le robinet d’une baignoire géante. Ce processus de remplissage s’est déroulé sur une période assez courte en termes géologiques. Avec le retour de l’eau est apparue une nouvelle vie qui s’est épanouie lentement.

La crise de salinité du Messinien nous rappelle que la géologie façonne notre monde. Depuis ses origines modestes en tant que passage étroit jusqu’à son évolution en un vaste bassin salé, la mer Méditerranée reflète le passage du temps. Alors que nous admirons la beauté de la nature le long des différentes étapes du Tour de France 2024, n’oublions pas que sous ses dehors sereins se cache une histoire remplie de bouleversements dramatiques.

NB : Les blogs dans d’autres langues que l’anglais sont tous traduits automatiquement. Nos rédacteurs ne sont pas responsables des fautes de langue et d’orthographe.

  • Fadl Raad

    Fadl Raad is a Lecturer and Research Assistant in Geosciences at the University of Corsica (France). Growing up in the mountainous region of Baalbeck, Lebanon, Fadl’s fascination with the secrets of nature and the stories hidden within its landscapes ignited a passion for exploration and discovery from a young age. This deep-rooted love for nature led Fadl to pursue a degree in Geology at the University of Trieste (Italy), where he delved into the intricate workings of the Earth’s geological processes. It was during this time that his interest in geology blossomed into a lifelong pursuit, fueled by his innate curiosity and desire to understand the complexities of the natural world. Fadl’s academic journey culminated in the completion of a Ph.D. in geosciences, a feat achieved after three years of intensive research focused on the Messinian Salinity Crisis. His doctoral project, undertaken as part of the prestigious SaltGiant International Training Network, delved into the geological phenomenon with a keen eye for detail and a dedication to unraveling its mysteries.

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